Quelques dizaines de demandes d’accommodements parfois raisonnables, parfois déraisonnables depuis plus de cinq ans, ont convaincu le gouvernement Marois d’agir, présumant qu’il y a une crise sociale et urgence d’agir.
Depuis plus de vingt ans, plusieurs milliers de Québécois en attente de traitements ou d’examens médicaux vivent des mois, voire des années, dans le silence, la détresse, la souffrance physique et psychologique sans provoquer une crise sociale. Ils attendent une action urgente du gouvernement pour améliorer leur système de santé.
Voilà qui en dit long sur la conscience sociale et morale d’une frange de notre société, de nos médias et de nos politiciens.
Je suis parmi des milliers de mes semblables qui souffrent quotidiennement et qui attendent dans une liste d’attente pour obtenir des traitements. Cette attente peut, dans de nombreux cas, avoir laissé s’aggraver une condition, et par la suite entraîné des séquelles avec lesquelles il faut désormais composer.
Je veux ici parler des valeurs communes qui nous lient quotidiennement sur le terrain de la santé et de la survie, mais qui ne sont pas mentionnées dans la charte proposée : courage, compassion, empathie, solidarité, résilience. Des valeurs chères se cachent souvent derrière le stoïcisme et l’abnégation des Québécois.
Le ministre Drainville a choisi de nommer cela une charte des valeurs québécoises, mais le nom de charte de la laïcité aurait été plus juste et correct. La neutralité politique de l’État n’est pas une valeur, mais une règle.
Rappelons que cette charte veut entre autres que le personnel de l’État soit neutre et n’affiche aucun signe religieux ostentatoire durant les heures de travail.
Mais qu’est-ce qui relève de l’État, de son organisation politique et juridique et de ses pouvoirs? S’agit-il des organisations non étatiques qui reçoivent du financement de l’État: les CPE, collèges, universités, hôpitaux?
On sait que l’État finance la culture et les festivals, les sports amateur et professionnel, les organismes communautaires et des entreprises d’économie sociale. Que dire des entreprises de construction de Tony Accurso et des firmes multinationales de génie-conseil?
Dans l’esprit du constitutionnaliste Daniel Turp, les employés des CPE, des universités et des hôpitaux sont en position d’autorité et devront afficher une neutralité. Mais pourquoi ceux de la Société des alcools du Québec ou d’Hydro-Québec, qui ne possèdent aucune autorité et devront pourtant afficher la neutralité?
L’Assemblée nationale est l’incarnation suprême de l’État, mais elle n’y est pas soumise. Le ministre Drainville affirme que le crucifix dans la salle de l’Assemblée nationale est un symbole de notre patrimoine, et qu’il faut le préserver sous prétexte qu’il fait partie de notre identité.
C’est en octobre 1936 que le crucifix fut posé à l’Assemblée nationale. Maurice Duplessis voulait ainsi sceller l’alliance entre l’État et le Clergé catholique. Duplessis fit valoir au Cardinal Villeneuve, archevêque de Québec, qu’il préférerait les principes de l’Évangile aux principes français de la République (liberté, égalité, fraternité). L’État québécois fut ainsi soumis à l’Église, qui ne se soucia jamais d’égalité entre les hommes et les femmes. En 1880, Eugène-Etienne Taché, l’architecte de l’Hôtel du Parlement, n’avait pas prévu de symbole religieux. Il mit en avant les origines françaises du Québec. Mais dans l’ère post-Duplessis, les Québécois et les Québécoises rejetèrent massivement la domination de l’Église sur l’État.
C’est pourtant ce vestige, symbole de la Grande noirceur caractérisée par l’inégalité des hommes et des femmes, que le gouvernement Marois instrumentalise pour exempter l’Assemblée nationale d’enlever, là aussi, ce symbole religieux ostentatoire.
La diversité religieuse existe depuis toujours dans l’histoire du Québec. Si le ministre souhaite tant protéger le patrimoine, je lui suggère d’inscrire aussi la congrégation Spanish and Portuguese de Montréal. Ses origines remontent à 1760 (à l’époque de Diderot, D’Alembert, Voltaire et Jean-Jacques Rousseau). Officiellement incorporée en 1768 dans le Vieux-Montréal, elle a déménagé sur la rue Chenneville en 1838, puis sur la rue Stanley en 1887. Depuis 1947, elle est sur la rue Saint-Kevin dans le district de Snowdon.
Certes, le Clergé catholique fut gardien et protecteur de l’identité et de la langue des Canadiens français. Le crucifix est son symbole et non celui du Québec ni de son patrimoine. D’ailleurs, le crucifix peut fort bien être exposé dans des bibliothèques avec des textes explicatifs rédigés par des historiens.
Dans ce débat sur la laïcité, on ne parle d’ailleurs que du crucifix. En 1977, le gouvernement à l’époque de René Lévesque a renommé la fête de la Saint-Jean-Baptiste pour lui donner le nom laïc qu’on utilise aujourd’hui. Ne faudrait-il pas plutôt une autre date, historique celle-là, pour célébrer la Fête nationale du Québec ?
Victor Afriat, éditeur
La Presse nous apprend ce matin que le gouvernement de madame Pauline Marois se résignerait par souci de cohérence à déplacer le crucifix placé au dessus du fauteuil du président de l’Assemblée Nationale. L’approbation récente de la Conférence des évêques du Québec aura été déterminante.
Voilà l’illustration magistrale de la soumission de l’État au Clergé. Depuis des années, nos élus ne pouvaient agir en toute liberté. Ils avaient besoin de la caution du Clergé.