Lors de l’étude des crédits à l’Assemblée nationale, la performance de la Régie du logement sera scrutée à la loupe. Sans aucun doute, la présidente de la Régie, Anne Morin, y défendra les résultats de son institution alors que des associations de locataires dénoncent la piètre performance du tribunal administratif.
«À la Régie du logement, la logique du profit prime sur le droit au logement. On le voit clairement la façon dont les causes soumises au tribunal sont priorisées. » dénonce Claire Abraham, organisatrice communautaire au Projet Genèse. Les délais d’attente pour des causes de non-paiement de loyer, qui représentent la majorité des causes entendues par le tribunal, était en moyenne 1,4 mois en 2014-2015 (1) . Une vitesse éclair comparativement aux délais d’attente des causes civiles générales c’est-à-dire toutes affaires qui ne remettent pas en question l’occupation du logement, qui étaient, l’an dernier, de 20,3 mois en moyenne. «Si l’écart entre les délais est si grand, c’est parce qu’il y a un problème structurel à la Régie.» ajoute Abraham.
Sophie Pascal a attendu presque 6 ans pour une audience à la Régie. Au départ, en juin 2007, elle avait déposé une demande à cause de travaux majeurs effectués dans l’édifice où elle habitait et qui nuisaient très sérieusement à sa qualité de vie. Le propriétaire, avocat de profession, a demandé des remises quatre fois sur la demande originale, tout en déposant des demandes de fixation de loyer pour les quatre années précédentes. Non seulement il ne s’est présenté à aucune de ces audiences, mais il a continué à demander des remises, et a même fait appel d’une décision, le rejet de la demande de fixation de loyer pour cause d’absence de la partie demanderesse.
Outre la seule demande de la locataire, le propriétaire avait ouvert neuf dossiers à la Régie, pour lesquels il ne s’est jamais présenté en cours ! «C’était très clair pour moi que l’objectif du propriétaire n’était pas de fixer le loyer, mais bien de me harceler jusqu’à l’épuisement.» observe Mme Pascal. Étant donné les remises à répétition permises par la Régie, en plus des frais d’avocats, du temps de préparation, et de l’énergie requise pour affronter ce système, Mme Pascal a trouvé la requête en justice indûment longue et difficile pour faire valoir ses droits en tant que locataire.
Bien qu’exceptionnellement longue, la situation de Mme Pascal n’est pas unique semble-t-il. En décembre 2008, Josefine Dua Casipe s’installe dans un logement. Elle subi des inondations régulièrement et demande des travaux à son propriétaire. Après maintes demandes, elle dépose une requête auprès de la Régie pour obtenir ces travaux. Peu après, le propriétaire s’exécute mais elle attendra environ 30 mois pour avoir son audience. Josefine Dua Casipe a déménagé depuis.
Denis Miron, responsable des relations avec les médias pour la Régie du logement explique que l’organisme doit pour remplir son mandat efficacement catégoriser les causes :
Les plus nombreuses (60% de toutes les causes) et les plus simples juridiquement, car les faits sont vite établis, portent sur le non-paiement des loyers. Le législateur dira Denis Morin a voulu qu’un locataire soit en rupture de contrat après un retard de trois semaines. La Régie est donc tenue de faire respecter cette volonté dans un délai qui ne contredise par le législateur. Ce délai est actuellement de six semaines.
Les causes en fixation et en révision de loyer portent également sur des faits établis, que l’on peut prouver rapidement. Les délais sont généralement de six mois.
Les causes civiles urgentes sont entendues en moyenne après 8 semaines.
Les causes civiles prioritaires ou générales sont plus complexes. Elles nécessitent plus de préparation. La première audience a généralement lieu après 17 mois ou 20 mois respectivement.
Les groupes de défense des droits des locataires décrient cette situation depuis longtemps (2) et proposent d’autres solutions: que la mise au rôle soit revue pour que toutes les causes soient entendues sur la base du premier arrivé, premier servi, et ce, à l’intérieur de trois mois ; et que toutes les causes urgentes (ayant un impact sur la santé ou la sécurité) soient entendues dans les 72 heures. Afin d’y arriver, ils proposent un réinvestissement important de la part du gouvernement. Il y a actuellement 42 régisseurs (juges) à la Régie du logement qui ont tenu 71 314 audiences l’an dernier et ont rendu 46 314 décisions. C’est cependant 69 821 demandes demandes qui ont été déposées au tribunal l’an dernier. Ces groupes demandent l’embauche de régisseurs supplémentaires.
Est-ce la seule solution pour réduire les délais ? Une refonte des processus pourrait aussi être envisagée. Actuellement un locataire peut faire face à un petit propriétaire mais il peut aussi faire face à une entreprise plus puissante avec des avocats expérimentés qui multiplieront démarches et procédures. Peut-on envisager comme le fait la Cour des petites créances exclure les avocats, et limiter le nombre d’audiences ?
(1) Rapport annuel 2014/2015 de la Régie du logement, extrait, page 17 :
De légères diminutions de délai ont été atteintes pour les causes civiles générales, passant de 21,0 à 20,3 mois, et pour les causes de non-paiement de loyer, passant de 1,5 à 1,4 mois. Par contre, le délai moyen pour l’obtention d’une première audience en fixation et en révision de loyer a augmenté en 2014-2015; il a atteint 6,6 mois. Pour les causes civiles prioritaires, le délai moyen a aussi augmenté à 16,6 mois.
(2) L’organisation d’une justice à deux vitesses : la catégorisation et la hiérarchisation des causes mises au rôle à la Régie du logement, étude publiée en juin 2015 par le Département des sciences juridiques de l’UQAM et Projet Genèse.
L’organisation d’une justice à deux vitesses