Entre 1999 et 2003, Côte-des-NeigesNotre-Dame-de-Grâce s’est classé au quatrième rang pour le nombre de piétons blessés sur l’île, avec 9% de tous les blessés transportés en ambulance.
Plusieurs croient que le problème se limite à quelques intersections dangereuses bien connues dans l’arrondissement.
Une étude dresse un portrait beaucoup plus alarmant: à CDN-NDG, presque toutes les intersections et les rues sont touchées.
Une pandémie
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DISTRIBUTION |
Piétons blessés dans CDN-NDG* (1999-2003)
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EN CHIFFRES |
Piétons blessés dans CDN-NDG (transportés en ambulance)
Groupes d’âges les plus touchés
75 ans et + |
14.5% |
10-14 ans |
8.8% |
15-19 ans |
7.5% |
20-24 ans |
7.2% |
Source: Direction de la santé publique de Montréal
Ménages ne possédant pas de voiture
Côte-des-Neiges |
45% |
Notre-Dame-de-Grâce |
35% |
Source: Étude Origine-Destination 2003, ministère des Transports du Québec
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AMÉNAGEMENTS |
Quelques mesures d'apaisement de la circulation automobile
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Thomas de Lorimier
Entre 1999 et 2003, des piétons ont été happés par des automobiles sur la majorité des rues de l’arrondissement, et pas seulement aux intersections considérées comme dangereuses, indique une étude réalisée en 2005 par la Direction de la santé publique de Montréal (DSP).
Utilisant des données collectées par Urgences-santé, deux chercheurs de la DSP, Patrick Morency, médecin spécialiste en santé publique, et Marie-Soleil Cloutier, géographe, ont pu cartographier la répartition des lieux d’accidents sur le réseau routier montréalais. L’étude Distribution géographique des blessés de la route sur l’île de Montréal arrive à deux résultats impressionnants :
1) La plupart des accidents se sont produits dans les quartiers centraux de la ville de Montréal (voir la carte).
2) Des accidents sont survenus sur presque toutes les rues et à presque toutes les intersections dans CDN-NDG.
Sur la carte de l’arrondissement (ci-contre), chaque point noir correspond à un piéton blessé pour lequel une intervention ambulancière a été effectuée entre janvier 1999 et décembre 2003. Plus le point est gros, plus le nombre de piétons blessés est grand.
« Les policiers et les ingénieurs en circulation des arrondissements de la ville, qui sont de bonne foi, souvent, n’ont appris à fonctionner qu’avec les intersections où il y a eu des décès. Comme ils n’avaient pas les moyens d’identifier toutes les intersections, ils ont appris à travailler en identifiant seulement la pire intersection dans l’arrondissement, » note Patrick Morency, qui a co-produit l’étude. « On se rend compte que 90% des piétons sont frappés ailleurs qu’aux intersections qu’on nommait ‘dangereuses’. »
En ville, énormément de gens dépendent de la marche. Même les automobilistes qui débarquent de leur voiture pour se rendre au travail ou au magasin sont des piétons, ajoute M. Morency.
Or, les piétons sont plus vulnérables que les automobilistes ou les cyclistes. En moyenne, ils sont blessés plus sévèrement que les autres usagers de la route et ils sont hospitalisés plus longtemps. Les statistiques de la DSP montrent qu’il représentent 14% des blessés, 28% des hospitalisations et 46.7% des décès chez les usagers de la route.
Selon le chercheur, beaucoup d’accidents se produisent à CDN-NDG car beaucoup de personnes s’y déplacent à pied et parce que la circulation automobile y est très importante. Beaucoup de voitures convergent chaque jour vers les commerces, les écoles et les hopitaux du quartier et une grande circulation de transit passe par le secteur pour se rendre au centre-ville, souligne-t-il.
« Ce n’est pas parce qu’il y a un fort fort débit d’automobiles sur une rue que c’est une raison légitime pour ne pas protéger les piétons, et surtout les enfants à proximité des écoles, » plaide toutefois le médecin.
Des mesures d’apaisement de la circulation
Depuis 30 ans, plusieurs villes européennes et américaines, mais aussi des municipalités voisines comme Outremont et Westmount, ont aménagé leurs rues pour prévenir les accidents. Le graphique (ci-contre) illustre certaines de ces mesures d’apaisement de la circulation.
Ces mesures réduisent la vitesse et le volume de la circulation (le nombre de véhicules qui transitent sur les rues). Par exemple, en rétrécissant la largeur des traversées piétonnières, on atteint ces deux objectifs tout en diminuant le temps passé par le piéton dans la rue, ce qui réduit inévitablement le risque d’accident.
Les policiers ne peuvent pas être partout 24 heures sur 24 pour surveiller les limites de vitesse; de plus, les mesures d’éducation au code de la route sont assez inefficaces dans la mesure où tous ne peuvent y penser tout le temps, affirme Patrick Morency. « Les mesures d’aménagement de l’environnement protègent le piéton et l’automobiliste à chaque traversée, qu’ils y pensent ou pas, dit-il. Elles sont efficaces 24 heures sur 24, pour tout le monde et pour longtemps.»
442 blessés « de trop »
Danika Landry
Quatre cent quarante deux piétons happés par un véhicule ont nécessité une intervention ambulancière dans Côte-des-Neiges et Notre-Dame-de-Grâce (CDN-NDG) entre 1999 et 2003.
« Le constat est alarmant », s'exclame Claude D'Anjou, directrice du Centre de gestion des déplacements de CDN, un organisme qui fait la promotion d'alternatives à l'auto pour se rendre au boulot. Même son de cloche de la part du parti municipal Projet Montréal et de la représentante des résidants du comité Îlot Monkland, Dominique Sorel.
Du bout des lèvres, le conseiller municipal du district de Snowdon, Marvin Rotrand, affirme que ce sont 442 blessés « de trop », s'entêtant à nuancer les résultats du rapport de la Direction de la santé publique de Montréal (DSP). « Il faut comparer avec le nombre d'habitants, mais aussi avec la population dynamique de l'arrondissement. »
« Le rapport dit que c'est un problème diffus, pas seulement aux artères principales », affirme de son côté Dominique Sorel. Cette résidante de NDG s'intéresse à la sécurité des piétons depuis que deux accidents majeurs, dont un impliquant sa fille âgée de quelques mois seulement, soient survenus sur l'avenue Monkland en 2004 et 2005. « Les actions pour régler le problème doivent être globales. »
Malgré ce constat partagé par Claude d'Anjou et le chef de Projet Montréal, Richard Bergeron, Marvin Rotrand refuse d'en venir à la même conclusion. Il préfère disséquer le problème de façon ciblée. « Il est plus dangeureux de traverser le chemin de la Côte-des-Neiges que Décarie », remarque-t-il. Celui-ci a refusé de se prononcer sur les raisons pour lesquelles les rues résidentielles présentent, selon la DSP, un plus grand risque pour les piétons que les rues artérielles.
« Sur une artère, les automobilistes s'attendent à voir des piétons. Mais dans les rues résidentielles, ils mettent leur système d'alerte à off », déplore M. Bergeron, qui est aussi l'auteur du Livre noir de l'automobile. Selon lui, les arrondissements centraux de Montréal seraient devenus un lieu de transit depuis les années 1950, en raison de l'étalement urbain. « J'ai toujours dit que nous avons fait une erreur en construisant des banlieues à faible densité à moins de 30 km de Montréal, soutient Marvin Rotrand. Une fois les banlieues construites, les habitants ont revendiqué des autoroutes pour se rendre au travail à Montréal. »
Apaisement de la circulation et transport en commun
Selon la DSP, les mesures d'apaisement de la circulation sont les méthodes les plus efficaces pour diminuer le nombre de piétons blessés. « Il y a des choses simples que nous pouvons faire, soutient Dominique Sorel, en faveur de telles mesures. » Grâce à ses actions, il est désormais interdit de se garer à 5 mètres d'une intersection sur l'avenue Monkland. Bien que proscrits par la loi, ces stationnements sont tolérés dans la métropole, même si la visibilité aux intersections s'en trouve diminuée.
« Lors d'une récente demande pour des mesures d'atténuation de la circulation près des écoles, on m'a répondu par la négative, parce que la fluidité sur les routes favorise le développement économique », soutient Richard Bergeron, qui refuse de dévoiler la source de ces allégations.
« Personnellement, je suis en faveur des 'dos d'âne', assure Marvin Rotrand. Notre service des travaux publics y pose des objections, notamment en raison du déneigement. Leur opinion est partagée par d'autres arrondissements de la Ville de Montréal. » Dans Outremont et sur la rue Monkland, le déneigement s'effectue malgré les entraves à la circulation, comme les bacs à fleurs permanents au milieu des intersections ou les avancées de trottoir.
Pour l'élu, également vice-président du conseil d'administration de la Société de transport de Montréal (STM), une des pistes de solution réside dans une plus grande intégration des banlieues dans le système de transport en commun. « Ce sera important d'harmoniser les coûts pour les métros de Laval et de Montréal. Sinon, les gens vont prendre leur voiture », souligne le conseiller de Snowdon. La ligne de trains de banlieue de Blainville, qui transite par NDG avant de se rendre au centre-ville, présente un certain potentiel, ajoute-t-il. « Le gouvernement du Québec a aussi des choix sociétaux à faire. Il a la possibilité de construire un pont à Laval ou de rénover le métro et d'améliorer les services des trains de banlieue. »
Impliquée dans une commission qui porte sur le transport à Montréal, la mairesse de LaSalle, Manon Barbe, suggère qu'un péage soit imposé à l'entrée de l'île pour limiter le nombre de voitures. « Ça existe à Londres et ça fonctionne très bien », fait valoir Claude D'Anjou.
« L'Amérique du Nord est le paradis de la voiture, ajoute-t-elle. Le nombre de piétons blessés sur nos routes est le symptôme de notre réalité. Ça nous dit qu'il va falloir à un moment donné penser [nos rues et nos routes] à échelle humaine. »