Transferts d’argent aux Philippines :
150 000 $ se sont envolés
Article mis en ligne le jeudi 3 décembre 2009
Photo Émilie Russo
Anabelle Ison a perdu 2100 $ en faisant affaire avec Go-Remit inc.
Des membres de la communauté philippine de Côte-des-Neiges crient au vol depuis que l’argent envoyé dans leur pays par une entreprise du quartier a disparu.
Go-Remit inc., situé sur la rue Victoria, offrait un transfert rapide d’argent vers les Philippines, à peu de frais et avec un taux de change avantageux. Lorsque les inondations ont frappé le pays à la fin du mois d’octobre, plusieurs Philippins ont envoyé des fonds à leur famille en utilisant les services de Go-Remit. Un mois et demi plus tard, l’argent n’était toujours pas arrivé.
La police de Montréal a reçu trente plaintes, pour un montant total de 150 000 $. « On soupçonne qu’il y en aura d’autres », estime Christian Émond, de la section des fraudes au SPVM. Les enquêteurs ont rencontré le propriétaire de l’entreprise, David Nowak, qui pourrait faire face à des accusations de fraude.
La majorité des victimes sont des femmes qui ont tenté d’envoyer de l’argent à leur famille dans les deux dernières semaines d’octobre, après les inondations. Les montants varient de quelques centaines à quelques milliers de dollars.
Lorsqu’Anabelle Ison a envoyé 2100 $ à sa mère le 29 octobre, ce n’était pas la première fois qu’elle faisait affaire avec Go-Remit. La compagnie offrait un taux de change supérieur, parfois de 0,50 peso de plus par dollar. Elle promettait un délai de 24 h plutôt que de trois jours et les frais de transactions de 13 $ étaient moins chers qu’ailleurs. En comparaison, la Banque TD charge 30 $ et la Banque Royale, 35 $.
Mme Ison n’a jamais retracé l’argent envoyé pour la construction de la maison de sa mère. Il faudra qu’elle attende l’an prochain avant de pouvoir amasser une telle somme.
Joan Galanza avait transféré 1230 $à sa famille, le salaire d’un mois entier qu’elle avait durement gagné en travaillant six jours par semaine comme aide familiale à LaSalle. Elle a dû sacrifier l’achat de bottes d’hiver pour envoyer ces fonds à sa famille. « C’est affreux, je ne peux plus dormir », dit-elle.
Gilbert Valdez a perdu les 4260 $ envoyés pour payer l’enterrement de sa famille.
Pour Judith Ramos, il s’agit de 5100 $, les épargnes d’une année de travail.
Les victimes ne peuvent espérer être remboursées que si elles intentent un procès au civil. L’Association philippine de Montréal, FAMAS, évalue présentement la possibilité d’une représentation légale des clients floués.
« Je vous rembourserai »
Au début du mois de novembre, Go-Remit a fermé boutique sans préavis. Un papier sur la porte indiquait que l’entreprise en difficulté ouvrirait de nouveau la semaine suivante.
David Nowak a fait parvenir une lettre à ses clients le 6 novembre, indiquant qu’il les rembourserait le plus tôt possible. La lettre faisait aussi état d’un vol commis chez Go-Remit le 29 septembre, qui le poussait à chercher une aide financière.
La semaine suivant cet envoi, une autre affiche sur la porte de l’entreprise reportait son ouverture au 24 novembre. Plusieurs clients ont alors déposé une plainte à la police, croyant que Nowak s’était enfui avec leur argent.
Une quinzaine de victimes l’attendaient de pied ferme devant Go-Remit le 24 novembre au matin. Il a écouté les doléances de ses clients en promettant de les rembourser, sans préciser quand.
Lorsque Remedius Raquel-Mao est entrée dans le bureau, elle était rouge de colère.
« Vous me devez 1500 $. 5000 personnes n’ont pas mangé à cause de vous! »
Mme Raquel a récolté 1500 $ en dons pour le village de sa mère. Une inondation a frappé les habitants du village juste avant la récolte du riz, les privant de nourriture. Après une semaine, l’argent n’était toujours pas arrivé, alors que le délai normal est d’un à trois jours. C’est alors que Mme Raquel a alerté le FAMAS et les autres clients.
« Si ce n’est pas du vol, qu’est-ce que c’est? Comment pouvez-vous vivre avec cela chaque jour? »
« Mon intention n’est pas de prendre votre argent, répond Nowak. Vous savez que je suis bon. Peut-être que je n’ai pas agi de la bonne façon, mais je le fais maintenant. »
Questionné par Les Actualités, il a précisé que le vol commis chez Go-Remit le 29 septembre était d’une
valeur de plus de 150 000 $. Il a toutefois refusé de fournir une preuve du rapport de police. Il affirme également ne pas avoir les moyens de se payer des assurances. Pour couvrir la perte, il dit avoir investi 50 000 $ de ses fonds personnels, tout en continuant d’accepter des clients. « Après, j’ai réalisé que je creusais un trou et que je devais m’arrêter », dit-il.
Il invoque plusieurs raisons pour justifier le retard des transferts d’argent : mauvais numéros de comptes bancaires, argent crédité aux mauvaises personnes, ou encore de mauvaises adresses.
« Je fais ça de bonne foi, mais j’ai perdu leur confiance », dit-il en parlant de ses clients.
David Nowak ne s’est pas présenté au bureau de Go-Remit depuis le 24 novembre et n’a pas retourné les appels de ses clients à propos de leur remboursement.
[ Émilie Russo ]
Une affaire risquée
Article mis en ligne le jeudi 3 décembre 2009 Les bureaux de transfert d’argent abondent près de l’intersection Van Horne et Victoria, où la clientèle philippine se trouve. Peu visibles de la rue, plusieurs commerces du quartier tiennent dans leur boutique un service de versement d’argent à l’étranger.
On en trouve un à la boulangerie philippine de la rue Victoria et un autre dans un club vidéo de la rue Van Horne. Sans faire de publicité, ils comptent sur le bouche-à-oreille pour attirer les clients.
Le propriétaire du club vidéo, qui a préféré garder l’anonymat, était au courant que Go-Remit offrait de meilleurs taux de change et des tarifs très bas. « Quelqu’un peut vous offrir d’envoyer votre argent à peu de frais, mais pouvez-vous lui faire confiance? »
En affaires depuis 18 ans, sa réputation est sa seule garantie.
Un père et sa fille, propriétaires d’un autre bureau situé sur Van Horne, ont aussi demandé de garder l’anonymat, pour se protéger contre les vols. Leur entreprise familiale est établie depuis
12 ans. Par une journée normale, elle reçoit les demandes de 200 à 300 clients.
La jeune femme avait entendu parler des victimes de Go-Remit. Elles ne croient pas les excuses de David Nowak. « S’il y a des retards dans le transfert d’argent, il s’agit d’un jour ou deux, pas d’un mois, et d’un ou de deux clients, pas d’une trentaine! »
Quelle garantie offre sa compagnie à ses clients, autre que sa réputation? « Aucune, admet son père candidement. C’est une affaire risquée. »
Les Philippins traitent avec ces petites entreprises parce qu’ils y trouvent plusieurs avantages, explique-t-il. Les clients se font servir dans leur langue, et les bureaux sont situés au cœur de la communauté. La livraison du
versement peut se faire à la porte, même dans les endroits reculés et peu accessibles. Les frais exigés sont peu élevés (moins de 15 $) et les délais, de trois jours au maximum.
Les délais qui s’étirent ne sont que des excuses pour utiliser l’argent à d’autres fins, croit Ramon Chito Gonzalez, gestionnaire du développement pour les Philippines chez Western Union à Toronto. « Les compagnies de transferts monétaires ne sont pas des banques : il n’y a aucune protection pour ceux qui envoient de l’argent ».
Il explique que certaines compagnies peuvent recevoir jusqu’à 300 000 $ en une journée. Si elles attendent trois jours avant d’envoyer l’argent, elles accumulent 900 000 $, supposément en transit, qui peuvent être utilisés autrement. On peut par exemple attendre d’avoir un meilleur taux de change pour transférer l’argent, ce qui permet à l’entreprise d’empocher le surplus. « Les gens doivent être éduqués. »
« N’importe qui peut ouvrir une compagnie de transfert d’argent, alors il faut savoir à qui on a affaire. »